Habana blues de Benito Zambrano
(mardi 28 avril 2015, 20h30)

Prolongeant le cycle “musique au cinéma”, dans Habana Blues Benito Zambrano dresse un portait de deux jeunes musiciens cubains. Introduisant dans la musique cubaine traditionnelle des rythmes plus rock et hip-hop, ils témoignent de la vitalité musicale de l’île. Car comme le rappelle Zambrano, “existe-t-il un endroit dans le monde qui soit plus musical ?”

Proposition d’analyse

Qu’on se réfère aux brochures des « tour operators », au guide du Routard ou à la filmographie de Wim Wenders, les avis sont formels, c’est à travers sa musique qu’on peut saisir Cuba… Benito Zambrano, réalisateur d’origine espagnole, semble donc se ranger à l’opinion générale en nous faisant découvrir l’île aux côtés de deux jeunes musiciens, Tito et Ruy, qui tentent de percer. On se rend toutefois bien vite compte que le « blues de la Havane », nous amène assez loin du Cuba de papier glacé vanté par les magazines touristiques, et que Tito et Ruy ne sont que de lointains héritiers du Buena Vista Social Club, filmé par Wenders en 1999.

Suite à l’arrivée de producteurs espagnols, décidés à faire enregistrer un album en Espagne à de jeunes musiciens cubain, Tito et Ruy voient se profiler une occasion de concrétiser l’échappatoire que constitue pour eux la musique hors du quotidien particulièrement difficile auquel est confronté la population cubaine. A travers les déambulations des deux héros dans la Havane pour réunir les musiciens qui leur permettront de convaincre les producteurs, se dessine le portrait d’une île plongée dans un dénuement terrible, où seuls fonctionnent le système D et l’ingéniosité, dans une lutte permanente pour survivre.
Un ventilateur utilisé pour refroidir le matériel d’enregistrement, un studio partiellement aménagé dans une salle de bain, ou la fierté du directeur d’un théâtre en ruine de la Havane de pouvoir fournir un unique projeteur à Tito et Ruy lors d’un concert, sont autant d’indices d’une musique qui se fait le reflet de la débrouille quotidienne expérimentée par les personnages et leur entourage.

L’espoir d’un enregistrement à l’étranger apporté par les producteurs espagnols cristallise de même les tensions qui traversent une société cubaine où aucune sortie du pays ne semble envisageable. De l’épouse de Ruy qui cherche à protéger ses enfants de la misère générale, à Tito, pour qui la liberté et les opportunités ne peuvent faire défaut dans une Europe aux allures d’Eldorado, fuir semble être l’idéal de toute une jeunesse confinée sur un territoire où les possibilités d’avenir paraissent quasi inexistantes. Mais du passage clandestin aux États-Unis, à la nécessité d’accepter la compromission artistique, revenant adapter une musique aux enjeux trop « locale » aux standards du marché européen, ou la voir réduire à une simple mise en scène commerciale de la situation politique dictatoriale de Cuba, cette échappée s’avère plus que complexe à réaliser. Les personnages se retrouvent ainsi perpétuellement ramenés à une île qu’il semble de plus en plus impossible de quitter malgré les rêves de jeunesse.

C’est à travers la musique que transparaît cependant leur attachement profond et paradoxal à Cuba. Elle semble donner naissance à une forme d’équilibre, accompagner la résistance face aux difficultés du quotidien, qu’elle permet à la fois d’oublier, ou d’accepter avec distance et sourire. Les pannes d’électricités récurrentes sont par exemple l’occasion d’une chanson particulièrement drôle, moment de bonne humeur et d’harmonie retrouvée entre des héros divisés par la réalité cubaine et les aspirations contradictoires qu’elle suscite.

La musique comme une forme de résistance donc, d’élan et de vitalité que les personnages cherchent tout du long à faire perdurer malgré la galère et l’absence d’horizon. C’est bien ce que met en scène Benito Zambrano à travers les déambulations de Tito et Ruy pour trouver leurs musiciens. Elles sont l’occasion d’explorer la diversité de la nouvelle scène musicale indépendante cubaine, où la musique traditionnelle s’ouvre aux influences du rock plus ou moins virulent, du reggae, du hip-hop… Le « Buena Vista Social club moderne » qu’ils composent reflète alors le partage de la jeunesse entre aspiration vers le monde extérieur, et volonté de conserver une identité culturelle et artistique proprement cubaine.

Dans tous les cas, que ce soit en redonnant vie pour un soir à un théâtre délabré de la Havane dont le plafond offre un panorama sur le ciel nocturne, ou en offrant un visa pour quitter l’île, la musique reste ici la parade trouvée par les personnages pour continuer à vivre au rythme de Cuba.

– Marie