Pour clôturer le cycle Boxe, il est temps de pratiquer. Quoi de mieux que joindre ce club de boxe à Austin, Texas, filmé dans ce documentaire de Frederick Wiseman.

Couleur.
Pays : États-Unis.
Année : 2001.
Avec : Richard Lord.
Rapide synopsis : Austin, Texas. Richard Lord, ancien boxeur professionnel, a fondé son club de boxe Lord’s Gym, il y a seize ans. Des personnes d’origines et de classes sociales et d’âge différents s’entrainent dans ce gymnase : hommes, femmes, enfants, docteurs, avocats, juges, hommes et femmes d’affaires, immigrants, boxeurs professionnels ou aspirants professionnels côtoient de simples amateurs et des adolescent en quête de force et d’assurance.
Proposition d’analyse
Depuis son ouvrage de 1959, La mise en scène de la vie quotidienne, Frederick Wiseman a produit de nombreux films critiques sur la civilisation américaine. Comme une gigantesque comédie humaine pour le grand écran, cette filmographie devrait selon lui être d’un seul tenant. Parmi ses 39 films, un seul tient de la fiction, le reste cherche à montrer les recoins intimes de cette univers américain. Boxing Gym est l’un de ses documentaires les plus récents, et nous montre pour sa part l’univers d’un club de boxe Texan. Wiseman nous introduit alors dans un Gym d’Austin où se côtoient affiches de matchs et films restés célèbres ainsi que vieux posters tombés dans l’oubli pour le reste du monde, puis nous berce vers cet univers par le rythme du son des coups de poings, des jeux de jambes.
Un documentaire qui se passe d’explications
Malgré le genre auquel ce rattache ce film, comme dans le reste de l’oeuvre de Wiseman, on se passe ici de commentaire off. Les rares discours sont ceux tenus par les personnages. Mais le réalisateur va au-delà dans l’éloignement par rapport au documentaire auquel l’on est accoutumé. Il ne donne aucun point de vue explicatif dans les plans qu’il utilise: son film se rapproche dans l’occupation du temps plus d’une séance d’entrainement sportif d’une heure et demie que d’une explication condensée du monde de la boxe. Il réalise ce qu’il appelle une mosaïque avec des plans d’entrainement sportif. Mais ce qui marque dans ces plans, ce n’est jamais la présentse d’un entraineur expliquant ce qui doit être amélioré: c’est le travail répétitif de l’entrainement qui est mis en valeur. Bien que Frederick Wiseman soit obsédé par la recherche de gestes techniques aussi parfaits que possible, il trouve cela dans la beauté d’une séquence de coups répétée deux fois à l’identique plus que dans une amélioration technique. Jeux de jambes, séquence de coups directs, uppercut et parades sont mis en valeur, mais aussi les plans de corde à sauter et saute-moutons. La seule chose qui s’apparente à un progrès, un apprentissage et que Wiseman accepte de nous montrer se fait à travers l’âge: on y voit la complexité différente des exercices proposés aux enfants, jeunes adultes ou élèves bien plus vieux. Les élèves les plus jeunes mentionnés font de la gymnastique pour la boxe dès 3 ans. De même, il met en évidence des exercices identiques réalisés par des membres de différents niveaux pour souligner cette idée d’évolution, et de la durée des appartenances à ce gym.
Une immersion dans la familiarité du lieu
Après la séquence d’ouverture sur le gym, on redécouvre la parole, d’abord principalement de très courts dialogues entre membres du club, parfois un entraineur. La première question qui frappe le spectateur, c’est l’authenticité des dialogues: si le regard caméra est fui dans le cinéma classique, c’est aussi parce qu’on croit mal qu’un dialogue n’est pas affecté par la présence de la caméra. Pourtant rapidement ce doute s’efface rapidement alors que l’on observe des dialogues de plus en plus triviaux, un peu confidentiels, où les boxeurs confient leurs faiblesses physiques (asthme, épilepsie), leur travail, craintes. Le secret de Wiseman est d’approcher les milieux qu’il filme tel un photographe animalier, prenant des centaines d’heures de film jusqu’à habituer sa proie à sa présence. Lorsqu’il arrive à cela, les plans en deviennent plus vrais, c’est pourquoi il fait donc bien une « mosaïque » à partir de rushs colossaux. Dès lors on se retrouve plongé dans ce monde, les discussions s’adressent à un ou deux personnages ainsi qu’à la caméra, comme si elle n’était qu’un membre de plus. Ce travail donne encore une fois vie au club, poussant le réalisme plus loin. Être fidèle à ce qui est fait à « Lord’s Gym », ce n’est pas que présenter une heure d’exercices physiques répétitifs, c’est aussi ces mots échangés entre deux rounds, sur le bord d’un ring, ou au moment de s’inscrire dans le bureau du directeur.
La gymnastique, prétexte du film
Justement ce long travail pour familiariser les entraineurs et élèves à sa présence lui permet de s’approcher du vrai sujet qui l’intéresse: les personnages eux même. Le fait que la boxe et le bruit des gants contre les sacs rappellent sans cesse où l’on se trouve, mais ils n’expliquent pas tout sur les personnages. Evidemment tout ce qui est raconté est affecté par la boxe, mais ce n’est qu’une partie de la vie des membres. A travers les discussions banales qu’il choisit de montrer, Wiseman peint ses personnages, avec les centaines de teintes qu’il pouvait utiliser pour cela. On découvre leurs attentes à tout âge, leurs rêves: « You find yourself ten years later from today, and then you see some of your friends up there on TV, and then you say man I could’ve been right there too », confie un personnage. Lorsqu’il le dit cependant, il ne se doute pas que ce plan sera gardé, et sa phrase devient un coup de pinceau pour Wiseman pour présenter à la fois ce personnage et les autres quarantenaires de Lord’s Gym.
Pour certains cependant Wiseman n’a pas besoin d’une seule phrase: les coaches apparaissent le plus souvent sur le ring, entrainant en tête à tête les boxeurs. On devine dans leur regard et les injonctions qu’ils assènent un personnage: l’un d’eux à le droit à deux minutes au coeur du film où l’on s’imagine un personnage durant cet exercice, car la caméra ne suit pas tant les coups que le regard du coach.
Comme un roman de Zola qui se déroulerait dans une salle de boxe, Boxing Gym nous plonge dans cet univers avec tout le côté humain. Lorsque Wiseman montre l’inscription d’un enfant au début du film, c’est bien sur aussi celle du spectateur, et les paroles lui sont adressées: ne vous inquiétez pas, on ne vous frappera pas, d’ailler vous ne frapperez personne avant longtemps. Votre entrainement sera un peu austère, mais vous le ferez dans un environnement extrêmement humain. Par tout cela le réalisateur touche sans doute son sujet mieux que tout autre documentaire l’aurait fait, en utilisant la parole avec la plus grande sagesse.