Lost highway de David Lynch
(mardi 7 avril 2015, 20h30)

Dans Lost Highway, David Lynch nous entraîne dans une expérience sensorielle intense. Rêves hallucinés, dédoublement de personnalité, décohérence spatio-temporelle, tous les moyens sont bons pour nous perdre dans l’envers des fantasmes hollywoodien et les méandres de l’esprit. La projection sera suivie d’une discussion avec Zachary Baqué, maître de conférences à l’université de Toulouse – Le Mirail.

Comme d’habitude, l’entrée coûte 4€, 3€ pour les membres du COF et vous avez la possibilité d’acheter des cartes de 10 places pour respectivement 30€ et 20€.

Et pour résumer :

Rendez-vous le mardi 7 avril 2015, 20h30
en salle Dussane, au 45 rue d’Ulm
pour voir et revoir
Lost highway
de David Lynch

Proposition d’analyse

« What if one person woke up one day and was another person ? »
C’est dans ces termes que David Gifford, coscénariste de Lost Highway avec David Lynch, décrit le projet du film. Loin d’éclaircir ces prémisses énigmatiques, Lost Highway fait tout pour perdre le spectateur qui cherche à s’y retrouver.

David Lynch réalise son premier long métrage, Eraserhead, en 1977. On lui confie alors la réalisation d’Elephant Man (1980), qui le révèle à la critique internationale, et Dune (1984), échec qui le détourne à l’avenir des œuvres de commande. Il réalise ensuite Blue velvet (1986) et Wild at Heart (Sailor et Lula, 1990), poursuivant dans la veine surréaliste qui le caractérise déjà. Il crée alors la série à succès Twin Peaks, et le long métrage Twin Peaks : Fire walks with me (1992). Dans ces films, David Lynch explore l’identité de l’Amérique profonde, ils sont tournés dans des petites villes américaines typiques et anonymes et révèlent des mécanismes sous-jacents de ces communautés. Lost Highway (1997) marque une évolution dans son œuvre, le cadre est maintenant la mégalopole de Los Angeles, indissociable de l’univers d’Hollywood. Après la parenthèse champêtre de The Straight Story (1999), la cité des anges est aussi le cadre de Mulholland Drive (2001) et Inland Empire (2006), qui poursuivent les pistes ouvertes par Lost Highway.

Un film à clefs sans clefs

Déroutant au premier abord, peut-être même au deuxième, le film garde volontairement ses mystères, comme David Lynch l’explique :
« The beauty of a film that is more abstract is everybody has a different take. Nobody agrees on anything in the world today. When you are spoon-fed a film, more people instantly know what it is. I love things that leave room to dream and are open to various interpretations. »
Vouloir expliquer, résoudre le mystère de Lost Highway est donc non seulement vain, mais va à l’encontre du principe même du film. On peut néanmoins pointer des éléments qui éclairent différentes facettes du film, sans en appréhender toute sa complexité.

Lost Highway repose pourtant sur une idée exprimable simplement : une personne se réveille en étant quelqu’un d’autre. On peut la rationaliser en faisant de Pete Dayton (Balthazar Getty) une création mentale de Fred Madison (Bill Pullman) qui s’imagine une vie différente avec Renée Madison / Alice Wakefield (Patricia Arquette). Lors de la promotion du film, Fred était présenté comme atteint de fugue dissociative (psychogenic fugue), trouble psychiatrique où le patient est frappé d’amnésie et adopte une nouvelle identité. Le film évoque donc les troubles mentaux de Fred, la vie de Pete est par certains aspects un miroir inversé de celle de Fred et l’image de la dualité traverse tout le film. Pete double de Fred, dualité entre Alice et Renée, mais aussi le solo de saxophone de Fred qui est repris à la radio dans le garage, les deux Fords, les deux chambres 26, l’ubiquité de l’homme mystère.

Avant d’assassiner sa femme, Fred est comme dépossédé de sa virilité, il se sent incapable de donner du plaisir à Renée, et suppose qu’elle lui est infidèle. Dans la construction mentale qu’il se crée, son alter ego Pete est doté de cette virilité dont il a l’impression qu’il est dénué. Lynch met ainsi a nu la construction de la masculinité dans l’inconscient collectif, généralement renvoyé par les images des films hollywoodiens. L’image d’un héros hétérosexuel viril auquel il faut aspirer, sous peine d’être considéré comme déviant.

Cette opposition entre deux mondes n’est cependant qu’apparente. Lorsqu’à la fin du film Fred sonne à sa propre porte pour annoncer « Dick Laurent is dead », le film semble boucler sur lui-même. On peut penser à l’image du ruban de Möbius, qui peut se penser comme une longue bande de papier tordue d’un demi-tour et dont on colle les extrémités. Sa particularité est d’être non orientable, elle n’a qu’une seule face ; en suivant la bande, on parcourt entièrement sa surface. Lost Highway n’oppose donc pas un monde qui serait réel et un autre imaginaire ou rêvé, mais les réunit comme deux facettes indissociables d’une même réalité. L’une n’est pas plus ou moins vraie que l’autre.

Une expérience sensorielle

La forme musicale de la fugue peut-être utilisée pour caractériser le déroulement du film. Un même motif est repris par différents instruments/personnages avec modifications, inversions, réponses, les multiples voix finissant par se chevaucher. La structure temporelle du film n’est absolument pas linéaire, le temps est compactifié par l’image de la boule, mais également ramifié, comme l’explique David Lynch :
« The film deals with time; it starts at one place and moves forward or backwards, or stands still, relatively speaking. But, time marches on and films compact time, or prolong time in different ways. There are sequences built with time in mind, as is the music. »
La temporalité est également bouleversée par la multiplication des références aux caméras. Les cassettes vidéo que reçoivent et regardent les Madison dans la première partie, l’homme mystère qui filme dans la scène de la cabane dans le désert, les films pornographiques regardés (et tournés) chez Andy.

Mais si la construction de Lost Highway évoque une forme musicale, Lynch accorde également une importance primordiale à la bande originale du film. Tant la musique que les bruitages participent activement à la construction du film. Il débute et se clôt au son de « I’m deranged » de David Bowie, créant un espace où les règles spatio-temporelles usuelles n’ont pas court, un monde gouverné par les lois d’un esprit « dérangé ». Si dans la première partie du film, la maison des Madison semble labyrinthique, c’est autant par le choix des cadrages que par les bruitages, qui déforment et rallongent les pièces.

Par sa construction labyrinthique, Lynch parvient à mettre en retrait la narration classique pour la substituer à une expérience esthétique et sensorielle. En entraînant les spectateurs dans ses chemins tortueux, Lost Highway ne peut que les perdre, en bouleversant les codes du cinéma classique. Se retrouvant la tête en bas, comme après un tour un un ruban de Möbius, il faut surement un second visionnage du film pour retrouver ses repères.

– Arthur