Dans La Vie privée de Sherlock Holmes, Billy Wilder s’offre deux heures à jongler avec un visible bonheur entre la comédie et le film policier, les deux genres dans lesquels il excelle, et à s’attaquer avec causticité aux héros de l’Angleterre, qu’ils soient réels (il fait de la reine Victoria une naine) ou imaginaires (Sherlock Holmes, misogyne achevé, finit par se laisser prendre à la bagatelle). Venez (re)découvrir un film irrévérencieux qui avait énormément choqué ses contemporains.

Couleurs.
Pays : Etats-Unis, Royaume-Uni.
Année : 1970.
Avec : Robert Stephens, Colin Blakely, Geneviève Page.
Rapide synopsis : Dans leur appartement de Baker Street, Holmes et Watson voient arriver une jeune veuve sauvée des eaux de la Tamise. Se nommant Gabrielle Valladon, cette dernière semble amnésique mais va vite retrouver la mémoire. Le fin limier et son équipier vont être entrainés dans une enquête hors du commun, où ils croiseront Mycroft Holmes, le frère de Sherlock, la reine Victoria et le monstre du Loch Ness.
Comme d’habitude, l’entrée coûte 4€, 3€ pour les membres du COF et vous avez la possibilité d’acheter des cartes de 10 places pour respectivement 30€ et 20€.
Proposition d’analyse
Je vous assure, cher cousin, que vous avez dit « privé ». Privé, le détective ? Mais privé de quoi ? De travail, car le crime londonien n’a plus, en 1896, d’adversaire digne de ce nom à opposer au grand Sherlock Holmes. Bon, eh bien, si le détective est privé d’affaire à résoudre, il n’y a plus rien à raconter. Suivant ! À moins que, comme Billy Wilder, vous n’imaginiez l’envers du décor : la vie privée du détective…
À y bien réfléchir, Wilder trouve dans Sherlock Holmes un personnage idéal pour déployer l’ampleur de son talent. S’attaquer à un personnage aussi emblématique et populaire permet à Wilder le corrosif d’être d’emblée irrévérencieux : au risque de décevoir les fans, le réalisateur n’adapte pas un épisode de Conan Doyle. Il égratigne le mythe Sherlock Holmes qu’il dépeint non pas en cerveau génial mais en icône sexe, drogue et concerto pour violon (composé par Miklós Rózsa). De plus, en prenant pour personnage principal le célèbre détective, Wilder fait un pied de nez aux codes hollywoodiens et navigue allègrement entre la comédie et le film policier. Bien avant Inherent Vice, Wilder entraîne son spectateur dans une pseudo-enquête qui est surtout un prétexte pour construire une comédie délirante et psychédélique. Mais (contrairement à Paul Thomas Anderson ?) Wilder n’a pas l’habitude de laisser ses comédies tourner à vide et en profite toujours pour aborder des sujets polémiques tels que le travestissement (Certains l’aiment chaud), l’adultère (Sept ans de réflexion), ou la corruption (La Scandaleuse de Berlin). Or le décor de l’Angleterre victorienne offre à Wilder un boulevard pour se montrer politiquement incorrect et bousculer le puritanisme anglo-saxon, avec un Sherlock Holmes aux yeux soulignés de khôl, à la fois misogyne et efféminé, et une reine Victoria de la taille d’une naine.
La Vie privée de Sherlock Holmes, relativement tardif dans la filmographie de Wilder, était un projet que le réalisateur prenait très à cœur. Le scénario original de plus de deux cents pages devait donner lieu à un ambitieux film de trois heures, avec un entracte. Une série d’échecs commerciaux ont conduit la United Artists à imposer à Wilder un budget plus serré. Nul doute que Wilder, qui se souvient d’un tournage « très difficile », en a gardé une certaine amertume. Par-dessus le marché, le film a été un échec commercial. Trop shocking pour plaire aux Britanniques, retiré de l’affiche aux États-Unis. Même en France, le film n’a été distribué que parce que François Truffaut et Jean-Pierre Melville sont intervenus.
Tout en étant un hommage au personnage créé par Conan Doyle, La Vie privée de Sherlock Holmes s’amuse à jouer avec un mythe de la littérature. Et ouvre ainsi la voie à toute une série d’adaptations filmiques rock de Sherlock Holmes, depuis celles de Guy Ritchie jusqu’à la série Sherlock de la BBC, où la vie privée du célèbre détective joue un rôle important. Un échec commercial à la gloire posthume : élémentaire, mon cher Wilder.
– Louise