La Planète sauvage de René Laloux et Roland Topor
(mardi 3 mars 2015, 20h30)

La semaine prochaine, place au film d’animation avec La Planète sauvage. Avec des dessins surréalistes de Roland Topor et une musique d’Alain Goraguer, plongez dans le monde de la planète Ygam.

Et pour résumer :

Rendez-vous le mardi 3 mars 2015, 20h30
en salle Dussane, au 45 rue d’Ulm
pour voir et revoir
La Planète sauvage
de René Laloux et Roland Topor

Proposition d’analyse

Lors d’une promenade, un père et sa fille découvrent une pauvre créature dont la mère a été tuée par une bande d’adolescents. Prenant la bête en pitié, le père accepte que sa fille l’adopte en animal de compagnie. La fille l’élève, joue avec, le cajole pendant qu’elle étudie. Le temps passe, elle commence à s’en lasser. L’animal se sent délaissé et va finir par s’enfuir. Si ce scénario semble celui d’un film animalier, dans La Planète sauvage, l’animal est un Om. Ils sont semblables aux hommes, mais ont taille d’insectes comparés aux Draags, humanoïdes bleus dotés d’une technologie avancée vivant sur la planète Ygam. Le film suit le point de vue de Terr, qui grandit chez les Draags comme Om de compagnie, avant de s’enfuir et rejoindre les Oms sauvages, vivant en tribus persécutées les Draags.

Richesse des graphismes

Adaptation du roman Oms en série de Stephan Wul, ce premier long métrage de René Laloux, reçoit au Festival de Cannes 1973 le prix du Jury, récompensant pour la première fois un film d’animation. Laloux adopte une animation par papier découpé en phase, cette technique privilégie la richesse graphique sur la fluidité des mouvements. Selon ses propres mots, dans un entretien publié dans la revue Positif (n°412, juin 1995) :

« Ce que l’on [perd] en richesse de mouvement, on le récup[ère] en originalité du graphisme et en audace du scénario. On touche là l’un des problèmes fondamentaux du cinéma d’animation : pour bien bouger un graphisme doit être simple. Si l’on s’oriente vers un graphisme plus sophistiqué, celui-ci est difficile à animer. L’école américaine, dans son approche réaliste, suit la pente la plus douce : elle privilégie le mouvement. L’école française, plus volontariste, fait le choix inverse. »

Le film part de dessins de Roland Topor, qui seront ensuite animés. Contrairement à la plupart des films en papiers découpés, où les personnages sont découpés en plusieurs parties qui sont déplacées pour créer le mouvement, Laloux choisit ici la technique de la substitution, où les personnages sont d’un seul tenant, mais dessinés un grand nombre de fois dans des positions différentes. S’il fait la part belle aux dessins de Topor, ce procédé est très long et coûteux : le film met quatre ans à être produit dans les studios d’animation de Prague, en équipe certes réduite à une vingtaine de personnes.

Marquant sa volonté de faire de la « peinture animée », les dessins à l’aquarelle et encre de couleur rappellent les tableaux surréalistes de Salvador Dalí, Yves Tangy et Max Ernst. La planète Ygam est un monde étrange, peuplé de bêtes sauvages chimériques et doté d’une végétation luxuriante. C’est dans ce monde onirique que vivent les Oms et les Draags. Si les Draags le dominent, les Oms doivent lutter pour survivre dans un environnement où tout leur est hostile, animaux géants, plantes cannibales et les campagnes de désomisation, que les Draags organisent périodiquement pour éviter qu’ils se multiplient trop. Ces opérations ressemblent à s’y méprendre à des désinsectisations, à ceci près que ce sont des Oms à la place des insectes.

Multitude d’interprétations

Le scénario ressemble à une classique dystopie, avec les Oms qui finissent par se rebeller contre le joug des Draags, mais le film n’est pas à sens unique. Bien qu’adoptant le point de vue d’un narrateur Om, les Draags ne sont pas présentés comme uniquement cruels envers les Oms. Leur société est assez développée, semble sans conflits, plutôt démocratique, et est centrée autour de la médiation. Au cœur de la vie des Draags adultes, les séances de méditation sont montrées par des séquences d’images psychédéliques, assorties de la musique tout aussi psychédélique d’Alain Goraguer. Durant ces séances, leur esprit semble se séparer de leur corps et s’élever vers une mystérieuse planète sauvage.

Cet aspect métaphysique de la vie des Draags montre que la Planète sauvage n’est pas qu’une révolte contre l’autorité. En s’échappant, Terr emporte chez les Oms sauvages un casque diffusant le savoir des Draags par télépathie. Si c’est par l’acquisition des connaissances des Draags que les Oms vont parvenir à se rebeller, ces connaissances ne sont pas utilisées uniquement d’un point de vue pratique, technologique. Ce savoir va permettre aux Oms d’élever leur niveau spirituel pour dépasser le stade de la survie contre les Draags. Cet aspect ouvre une lecture (dé)colonialiste du film, où des individus opprimés vont se former chez l’oppresseur afin d’élever la conscience de leur peuple de lui-même et parvienne à s’affranchir. L’attitude des Draags envers les Oms, mélange de paternalisme et sadisme, va également dans ce sens.

Mais ce film, marqué par son époque et par son style métaphorique, appelle à d’autres interprétations, sans jamais fermer de porte. Avec leur style de vie sauvage et rustique, on peut également voir les Oms comme représentant la contre-culture, refusant à la fois de se laisser domestiquer ou annihiler par la société industrielle des Draags. Finalement, la planète sauvage dépeint deux facettes de la condition humaine qui s’opposent. D’un côté l’appel de l’intellectuel, du spirituel, et de l’autre l’appel de la nature, du sauvage, plein d’énergie vitale.

Cette richesse des interprétations possibles permet à la planète sauvage de rester d’actualité quarante ans après sa sortie, là où de nombreuses œuvres de science-fiction de l’époque apparaissent maintenant datées et naïves. L’étrangeté du monde peint par Topor place le spectateur comme dans un rêve, dont les images et la musique persistent après la projection. Parfois à la limite de l’incohérence, avec des séquences à la limite de la pure fantasmagorie, la Planète sauvage délivre ses messages, poétiques, politiques, métaphysiques et écologiques.

– Arthur