« Les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît.” Chris Morris reprend cette citation d’Audiard pour livrer une caricature de djihadistes cherchant à monter un attentat en Angleterre. Parce qu’on peut rire de tout, ne manquez pas cette comédie britannique acide et dérangeante.

Couleur.
Pays : Royaume-Uni, France .
Année : 2010.
Avec : Riz Ahmed, Arsher Ali, Nigel Lindsay .
Rapide synopsis : Animé par des envies de grandeur, Omar est déterminé à devenir un soldat du djihad en Angleterre. Avec ses amis, il décide de monter le coup décisif qui fera parler d’eux et de leur cause. Problème : il leur manque le mode d’emploi.
Et pour résumer :
en salle Dussane, au 45 rue d’Ulm
pour voir et revoir
We are four lions
de Chris Morris
Proposition d’analyse
Au moment de la sortie en France de We Are Four Lions (Four Lions en V.O.), Juliette Bénabent, critique à Télérama, écrivait que « faire passer le terrorisme pour une activité de fanatiques demeurés, qui avalent la carte SIM de leur téléphone et se font exploser au milieu de moutons, c’est carrément stupide ». En dépit de son caractère lapidaire et de sa pauvreté critique, cette affirmation peut constituer une bonne porte d’entrée dans ce qui apparaît comme une des meilleures comédies anglaises de ce début de siècle. Car pour être stupide, le premier long-métrage de Chris Morris n’en est pas moins drôle. Excessivement drôle. Il s’agit ici de raconter le parcours (fictif) de jeunes musulmans britanniques radicalisés et obsédés par l’idée de déclencher des attentats pour faire avancer la cause d’un djihad qu’ils ne comprennent pas bien eux-mêmes : Omar, Waj, Barry, Faisal et Hassan sont de parfaits bras cassés, et leurs lubies terroristes ne peuvent se solder que par des échecs consternants de bêtise qui font de ce film une farce aussi puissante que son sujet est peu traité. Exposer en détail les étapes de ce voyage au bout de la connerie à qui n’a pas vu Four Lions reviendrait à gâcher le comique qui en fait l’intérêt ; il paraît plus utile d’éclairer le contexte d’un film qui pourrait choquer, ou être pris pour ce qu’il n’est pas.
Le réalisateur, Chris Morris, est un personnage célèbre en Grande-Bretagne pour sa pratique d’une satire féroce, avec son complice Armando Ianucci (réalisateur de l’excellentissime et hilarant In The Loop, sorti un an avant Four Lions) dans les émissions On The Hour et The Day Today (qui inspirera le Daily Show américain de Jon Stewart). La violence de certaines de ses attaques lui vaut d’être qualifié de « most hated man in Britain » en 2001 par le Daily Mail. Dans des interviews données lors du Festival de Sundance où le film était en compétition en 2010, Morris a détaillé la gestation de ce film : intéressé par le problème de l’extrémisme islamiste à la suite du 11 septembre et plus encore après les attentats du 7 juillet 2005 à Londres, il se lance dans la lecture d’ouvrages consacrés à la culture et à l’histoire musulmanes, mais aussi des rapports d’experts en sécurité ou encore des compte-rendus de procès de terroristes. C’est dans cette phase de recherche qu’il rencontre des histoires qui influenceront son film, comme celle d’un militant du British National Party, parti d’extrême-droite, qui lut le Coran pour développer son argumentaire contre l’Islam mais finit par se convertir (d’où le personnage de Barry, « Blanc » converti et plus radical encore que ses compagnons.) Plus il lisait, plus il découvrait la sphère du radicalisme, plus Morris apprenait l’existence de projets terroristes lamentablement ratés, préparés par des individus parfois aussi maladroits que des bouffons de comédie. Spécialiste de la satire, il décida de faire un film à partir de ses découvertes, passant outre la frilosité de producteurs traditionnels comme la BBC pour se tourner vers le financement participatif et des producteurs alternatifs.
Stupide, ce film ne l’est donc plus tout à fait quand on sait le méticuleux travail de recherche entrepris par Morris pour rire du terrorisme sans prendre parti et tomber dans les pièges idéologiques tendus par la nature « sensible » du sujet abordé, parmi lesquels l’assimilation de l’islam au terrorisme aurait été le plus à craindre. C’est toute l’intelligence du film, qui en accorde si peu à ses personnages (terroristes, simples quidams, policiers : tout le monde y est con), que de ne pas se prendre pour un objet de réflexion et de débat, pour faire le choix d’une farce « avec des vrais morceaux de réalité dedans » (notamment par l’emploi de caméras sans cesse mouvantes, créant un style de faux documentaire), où le sérieux se tient à bonne distance de l’humour sans pour autant s’effacer. D’où le titre : Four Lions se présente comme une variation absurde sur l’Angleterre, symbolisée par les Three Lions. Aux injonctions qui nous viennent actuellement de toutes parts de rire de la terreur sans perdre de notre sérieux, Four Lions est l’évidente réponse cinématographique. (C’est d’ailleurs ce qu’a compris le distributeur français du film, UFO, qui l’a diffusé gratuitement en streaming sur Internet pendant quelques jours, après les attaques du 7 janvier 2015.)
– Damien