Que se passe-t-il quand deux existences parallèles se croisent ? Quand deux vies qui se répondaient par-delà les frontières, réelles ou imaginaires, se retrouvent à n’en faire plus qu’une ? C’est ce à quoi cherche à répondre Véronique, lancée à la poursuite de ce mystérieux double qui a toujours habité sa vie. Alors que les limites du réel se confondent avec celles de la féerie, du conte, c’est elle-même qu’elle découvre peu à peu. Ou alors tout ceci ne serait-il qu’une illusion ?

Couleur.
Pays : Pologne, France.
Année : 1991.
Avec : Irène Jacob, Aleksander Bardini, Halina Gryglaszewska.
Rapide synopsis : Il y a 20 ans dans deux villes différentes (en France et en Pologne) naquirent deux petites filles pareilles. Elles n’ont rien en commun, ni père, ni mère, ni grands parents, et leurs familles ne se sont jamais connues. Pourtant elles sont identiques : toutes deux gauchères, aiment marcher les pieds nus, et le contact d’un anneau d’or sur leurs paupières. Et surtout, toutes deux ont une voix magnifique, sublime, un sens musical absolu, et la même malformation cardiaque difficilement détectable. L’une profitera des expériences et de la sagesse de l’autre sans le savoir. Comme si chaque fois que la première se blessait avec un objet la seconde évitait le contact de ce même objet. C’est une histoire d’amour, simple et émouvante. L’histoire d’une vie qui continue, quittant un être pour se perpétuer dans le corps et l’âme d’un autre être.
Et pour résumer :
en salle Dussane, au 45 rue d’Ulm
pour voir et revoir
La Double vie de Véronique
de Krzysztof Kieslowski
Proposition d’analyse
De même que son héroïne Weronika s’amuse à observer le monde à l’envers, à travers une balle rebondissante étoilée, La double vie de Véronique, appelle à porter un regard neuf sur le monde, ouvert à son insaisissable poésie. L’histoire parallèle de Weronika et Véronique échappe de fait à toute explication rationnelle. Entre la Pologne et la France, un étrange lien unit l’existence de ces deux femmes. Sans se connaître, la présence de l’une habite pourtant inconsciemment l’esprit de l’autre, et les échos entre leurs deux vies se multiplient : Weronika est une jeune chanteuse, Véronique professeur de musique, chacune travaille à son tour sur le même morceau ; symbole du fil invisible qui les relie, un lacet avec lequel joue Weronika, est reçu par Véronique dans un mystérieux courrier…
La fusion de ces deux existences atteint son apogée lors de la mort prématurée de Weronika, au milieu d’un concert au cours duquel elle chante l’envoûtant morceau (composé par Zbigniew Preisner, mais attribué dans le film à un compositeur hollandais du XVIIIe imaginaire, Kieslowski jouant ainsi encore plus avec les frontières de la vérité) que toutes les deux jouent. Un incompréhensible sentiment de solitude s’empare alors de Véronique, rappelant l’aveu précédent de Weronika, de ne s’être jamais sentie seule.
À l’image de ce lien distant et fantastique qui entrelace les vies des deux personnages interprétés par Irène Jacob (prix d’interprétation féminine à Cannes en 1991), le réel semble s’éloigner, au fur et à mesure que l’existence entière de Véronique, désormais seule, s’articule autour de jeux de miroirs, de réminiscences de la vie de son double disparu, et de manifestations surnaturelles. Véronique entame de fait une seconde quête fantastique d’un Autre, relié à elle par un lien étrange et poétique, lorsqu’elle rencontre Alexandre, marionnettiste. Le motif du double et du reflet prime à nouveau dès l’échange indirect de regard dans un miroir qui marque la rencontre des deux personnages. De même, le spectacle qu’Alexandre fait jouer à sa marionnette, mettant en scène, la mort tragique d’une ballerine au milieu de sa danse, et sa renaissance sous les traits d’une fée, font largement écho au décès de Weronika, et à l’envolée magique de son âme au-dessus de la salle de concert, filmée quelques scènes plus tôt par Kieslowski.
C’est ainsi bien la féérie qui guide les pas de Véronique dans sa recherche parallèle d’un sens à donner à cette présence qui était en elle, et d’Alexandre. Son voyage est d’abord sonore. Au retour, tout au long du film, du même morceau grave et envoûtant, vient s’ajouter une étrange cassette audio, enregistrement de sons divers. Les bruits du quotidien, sortis de leur contexte, deviennent fantastiques, et semblent se doter d’un sens caché. Ils constituent autant d’indices mystérieux, balisant un chemin à la direction inconnue, mais qui attire inéluctablement Véronique. Est-ce son double qui l’attend à l’issu de ce trajet ? La découverte d’un autre niveau du réel au sein duquel les existences communiquent ? ou serait-elle elle-même une marionnette, dans le conte de sa propre vie ?
Apporter une réponse à ces interrogations, ou comprendre quelle est la nature du lien unissant Veronique et Weronika ne revêt finalement pas une grande importance. Le film reste au contraire volontairement sibyllin et joue sur les lueurs inexpliquées, les images ou les sons de la vie de Weronika intercalés de manière inattendue dans celle de Véronique, pour brouiller les frontières entre le rêve et la réalité. Le sens, quel qu’il soit, n’en est que plus opaque.
Il ne reste plus au spectateur qu’à laisser de côté la raison, pour se perdre dans un film relevant avant tout du poème. Sa force est peut-être surtout de faire surgir la magie d’instants ténus du quotidien. Le visage rayonnant de Weronika continuant à chanter malgré la pluie battante, une pluie de poussière déclenchée par sa balle rebondissante et sous laquelle elle se met à danser, une lueur qui joue sur les murs de l’appartement de Véronique comme un feu-follet, ou les mains d’un marionnettiste donnant vie à une danseuse, autant d’éléments en apparence si simple, mais qui renferment toute la magie d’un réel rendu à sa poésie et à son onirisme intrinsèques. Si le cheminement de Véronique ne dévoile finalement pas de vérité profonde sur le sens du réel, il permet au moins au spectateur de redécouvrir qu’il suffit parfois de regarder le reflet déformé du monde dans un miroir ou dans une balle étoilée, pour le rendre à nouveau fascinant, enchanteur, et lui trouver une profondeur insoupçonnée…