Après Some like it hot, Billy Wilder retrouve Jack Lemmon, cette fois en duo avec Shirley MacLaine, pour un film relevant à la fois de la comédie grinçante et du mélodrame.
Noir et blanc.
Pays : États-Unis.
Année : 1960.
Avec : Jack Lemmon, Shirley MacLaine, Fred MacMurray
Rapide synopsis : C.C. Baxter est employé à la Sauvegarde, grande compagnie d’assurance. Dans l’espoir d’un avancement il prête souvent son appartement à ses supérieurs qui y emmènent leurs petites amies. Un jour le chef du personnel le convoque et lui apprend qu’il sait tout et lui demande aussi sa clé. Baxter est enfin promu. Mais ce qu’il ignorait c’est que le chef du personnel emmenait dans son appartement la femme dont il était amoureux.
Proposition d’analyse
Billy Wilder réalise The Apartment juste après le succès de sa comédie Some like it hot. Il collabore de nouveau avec l’acteur Jack Lemmon et le scénariste Izzy Diamond à qui on attribue souvent la célèbre réplique clôturant Some like it hot. Jack Lemmon retrouve dans ce film Shirley MacLaine avec qui il a déjà partagé l’écran dans Irma la douce. À cette épique il faut ajouter le compositeur Adolph Deutsch, à qui on doit notamment Jealous lovers, et le décorateur Alexander Trauner dont on reparlera du travail. Billy Wilder est donc bien entouré pour réaliser ce qui apparaît tout d’abord comme un chef d’œuvre de la comédie hollywoodienne classique : noir et blanc très travaillé, dialogues ciselés, jeu burlesque de Jack Lemmon, etc. On peut donc être surpris par le ton parfois très grinçant de ce film qui peut par exemple rappeler Love in the afternoon. C’est en effet un des coups de maître de Billy Wilder dans ce film : avoir réussi à mêler différents genres (comédie de mœurs, mélodrame, satire sociale, vaudeville) sans donner à son film un aspect incohérent.
Le caractère satirique du film apparaît dès l’ouverture du film : la voix off (dont on apprendra qu’il s’agit de celle du personnage principal, C.C. Baxter) énonce des informations d’une précision absurde dans un effet de zoom qui se termine sur le personnage de Jack Lemmon qui se décrit par des numéros (étage, bureau, section) avant de donner son nom. Billy Wilder crée en effet dans ce film une société d’assurance très déshumanisante et à la logique parfois absurde qui peut évoquer Playtime voire Brazil. La référence au film de Jacques Tati est d’autant plus pertinente que celui-ci a réutilisé dans Playtime une astuce de tournage mise au point par Alexander Tauner pour The Apartment : pour donner l’impression que l’open space dans lequel travaille le personnage principal est très profond, le décorateur a créé une fausse perspective en disposant des objets et des personnes de plus en plus petits aux rangs les plus éloignés de la caméra pour finir avec des enfants puis des maquettes. L’impression de profondeur qu’il en résulte souligne l’anonymat de Baxter dans cette foule qui, en effet, ne semble plus être qu’un numéro. On notera d’ailleurs la façon dont les rapports hiérarchiques s’expriment dans la façon d’occuper l’espace : les simples employés se perdent dans cette profondeur anonymisante tandis que les cadres jouissent de bureaux séparés avec leur nom sur la porte, récupérant ainsi symboliquement leur individualité, enfin le personnage de Sheldrake surplombe tous les autres, huit étages plus haut, et se comparent lui-même à Dieu. S’il semble décalé par rapport à son environnement, contrairement au personnage de Tati, Baxter semble chercher à s’intégrer le plus possible à cet univers comme en témoigne son obséquiosité, son goût pour les statistiques absurdes ou encore la façon dont il fait sien les tics de langages de ses supérieurs. Baxter est donc un personnage ambivalent : il est présenté comme victime de ses supérieurs mais n’est pas dénué d’un certain arrivisme et ne crache pas sur les promotions auxquelles sa servilité lui permettent d’accéder. Il apparaît donc comme un personnage potentiellement attendrissant mais pas pour autant sympathique. Ses supérieurs profitent donc allégrement de la faiblesse de Baxter, se servant de lui comme de la clé de son appartement qui passe métaphoriquement de main en main, ce qui est le prétexte à de nombreuses scènes comiques mais Billy Wilder n’occulte pas pour autant la difficulté de la solution pour Baxter ainsi que sa solitude, présentant des scènes parfois d’une grande violence symbolique et jouant souvent sur l’humour noir. Le traitement comique et le jeu burlesque de Jack Lemmon ont cependant tendance à atténuer la noirceur de la situation. Ce n’est pas le cas en ce qui concerne le personnage de Shirley MacLaine qui donne un caractère parfois très mélancolique au film. En effet, alors que Jack Lemmon multiplie les grimaces, Shirley MacLaine a souvent les yeux fermés voire en pleurs. On notera d’ailleurs que si le film a été un succès à la fois public et critique à sa sortie, le traitement des rapports entre hommes et femmes a été jugé assez polémique.
Billy Wilder propose donc un film qui suit les exigences de la comédie classique hollywoodienne tout en lui donnant une profondeur qui peut surprendre, se rapprochant ainsi des genres du mélodrame et de la satire sociale. Ce mélange des genres particulièrement réussis en fait donc un film complet, qu’il serait peut-être plus juste de qualifier de drame tant on y retrouve tous les aspects de la vie.
Malo