2046 de Wong Kar-Wai (mardi 17 janvier 2017, 20h30)

En faisant écho à son film In the mood for love, Wong Kar-Wai continue ses recherches sur la forme et sa réflexion sur le temps qui passe.

2046

Proposition d’analyse

On décrit souvent 2046 comme la suite du film In the mood for love. Ce n’est que partiellement juste, même si les similitudes dans la forme comme dans les thèmes abordés par les deux films sont troublantes, il semble plus juste de décrire 2046 comme un écho d’In the mood for love (et de Days of being wild). Cette filiation n’est pas anodine tant le questionnement sur la mémoire est central dans ces deux films. Ainsi les effets de récurrence qui foisonnent dans les deux films sont également réalisés à une plus grande échelle dans l’œuvre de Wong Kar-Wai.

2046 frappe d’abord par l’attention donnée par le réalisateur à la forme (qui va parfois jusqu’à l’abus, on pourrait parfois reprocher une esthétique publicitaire) et l’apparente complexité du récit. Il faut en effet préciser que s’il est possible de se perdre lors du premier visionnement dans la narration qui semble déstructurée, le film dispose d’une structure assez rigide à travers laquelle le spectateur est guidé par les intertitres et la voix off. On peut distinguer deux composantes principales dans cette structure : l’histoire de M.Chow présentée de manière presque chronologique selon une structure en arc, mais à laquelle viennent se greffer de nombreux flash-back et flash-forward, et celle des romans de science-fiction écrits par le personnage principal. Si Wong Kar-Wai établit une distinction formelle claire entre ces deux composantes (l’artificialité des histoires écrites par M.Chow est soulignée par le recours à une animation dont l’esthétique tranche avec le soin apporté au reste du film et par la présence de scènes tournées lentement puis passées en accéléré), la partie du film qui se déroule dans un futur imaginaire joue clairement un rôle de métaphore censée éclairer le reste du film. Le rôle de ces intermèdes futuristes n’est cependant pas uniquement allégorique, en effet ils complètent l’entreprise formelle du film et apportent un nouvel éclairage au questionnement sur le temps vécu central dans l’œuvre de Wong Kar-Wai en complétant la frise temporelle. La rigidité de la structure est aussi soulignée par la présence de nombreux éléments récurrents, que ce soient des nombres (2046 et 2047), des personnages (Su Li Zheun), des objets (la pointe du stylo), des mélodies (Nat King Cole à Noël), des façons de cadrer (une femme occupe la moitié de l’écran tandis que l’autre est vide) voire des plans entiers. Cette généralisation de la récurrence nourrit bien sûr également la réflexion de Wong Kar-Wai sur le souvenir. L’impression de déstructuration produite par les va-et-vient entre les nombreuses parties du récit et une esthétique parfois troublante, notamment à travers un usage généralisé des gros plans et des longues focales malgré le format cinémascope ou encore le recours continuel aux ralentis, est donc volontaire et étaye le propos du réalisateur.. Wong Kar-Wai crée ainsi un film visuellement très fluide dans lequel il peut être difficile de se retrouver. Cette cohérence formelle est aussi créée par un usage raisonné de la musique, à travers quelques thèmes récurrents, Wong Kar-Wai met en place une ambiance sonore propre au film, même s’il est vrai que l’usage de musiques de sources très différentes favorise l’aspect déstructuré du film tandis que leur retour constant n’aide pas à reconstruire une chronologie.

Si le travail formel de Wong Kar-Wai dans ce film est incontestablement au service de sa réflexion sur la mémoire et les relations humaines, il serait réducteur de ne pas lui reconnaître l’ambition d’une beauté formelle pour elle-même. C’est sûrement un des grands atouts de ce film : proposer à la fois une réflexion sur le temps qui passe et une recherche formelle sans pour autant qu’un des deux n’apparaisse comme un prétexte à l’autre.

Malo