Couleur.
Pays : France.
Année : 1968.
Avec : Jean-Pierre Léaud, Claude Jade, Daniel Ceccaldi.
Rapide synopsis : Après son service militaire, Antoine Doinel, toujours amoureux de Christine Darbon, cherche un emploi. Après s’être fait renvoyer d’un travail de veilleur de nuit, il est engagé dans une agence de détective privé où on lui confie une mission dans un magasin de chaussures. Le propriétaire, Mr Tabard, cherche à découvrir la raison de la haine de ses clients et de sa femme à son égard.
Proposition d’analyse
Suite à ses mésaventures et déboires dans Les 400 coups et Antoine et Colette, Antoine Doinel s’est engagé dans l’armée, dont il se fait rapidement expulser. Tout en papillonnant entre métiers, Doinel s’éprend de deux femmes, la jeune et naïve Christine Darbon, et la femme de son employeur.
Après quelques adaptations (Fahrenheit 451, Jules et Jim) et films noirs (La mariée était en noire, La peau douce), Truffaut poursuit l’histoire de son alter ego cinématographique, qu’il avait déjà six ans avant réintroduit dans sa participation au collectif l’Amour à vingt ans. Pour la première fois, la vie du jeune Doinel s’éloigne de celle de Truffaut, qu’elle suit assez fidèlement jusqu’à la sortie de la prison militaire ; une fois libéré, Doinel part de son côté, et connait une histoire assez romanesque, balzacienne : l’intrigue consiste principalement en une relecture du Lys dans vallée, où Mme de Mortsauf ne serait pas véritablement ingénue, ni Lady Dudley si possessive et retors.
Avec cette prise de distance de son personnage, Truffaut s’éloigne de la part plus sombre et presque revancharde qui apparait par moments dans les deux premiers opus ; Baisers volés est le premier film léger de la série Doinel. Les plaisanteries cinématographiques, souvent tirées du burlesque muet (la filature, la grande femme de dos…) se succèdent dans le film ; la résolution de l’intrigue est souvent momentanément abandonné pour leur laisser place. Le temps est aussi très largement dilaté, avec un usage saisissant de l’ellipse, qui n’a pour égal que la maitrise d’Ozu et ses fameux plans vides. Deux scènes sont distantes indifféremment de quelques heures ou quelques mois. C’est aussi à partir de Baisers volés que la série des Antoine Doinel prend vraiment forme- le projet de décrire une vie dans quelques moments précis, attendus, en une succession d’anecdotes- enfance, déception, fiançailles, mariage et divorce ; faire d’une vie un film, comme Proust fit de la sienne un roman. Ainsi, le film marque clairement une rupture : la construction de Domicile conjugale est calquée sur celle de Baisers volés, et l’Amour en fuite, à part par sa structure non linéaire (il semble qu’est venu le temps du souvenir), garde le ton joyeux du troisième film ; et on retrouve déjà dans Baisers volés le retour de personnages en coup de vent (apparition de Colette qui préfigure celle de Mr Lucien).
Le film se distingue aussi par son interprétation ; Jean-Pierre Léaud, qui reprend son rôle, est entre-temps devenu un acteur plus exercé – ayant notamment joué pour Godard (Masculin Féminin, La chinoise) et Skolimowski (Le Départ). Ce n’est plus le jeune garçon au franc-parler dont le naturel convainquit Truffaut, mais un jeune homme à la gestuelle et la diction en décalage avec la réalité, une invitation permanente au romanesque. Si Léaud n’est pas crédible, c’est qu’il est personnage de film, et qu’il le rappelle à chaque instant, volontairement ; et Doinel est un rôle parfaitement adapté. La description méthodique de « ce qui est » n’est pas l’objet du film, pas plus qu’il ne l’est dans les faits des romans de Balzac ; les deux ont notamment recours à la providence pour faire avancer l’intrigue. Mais si le film n’est pas une représentation fidèle des faits (dans le sens où aucune part du film ne ressemble au témoignage des seuls sens), le film donne un sentiment de la vie bien plus exact que d’autres qu’on dit réaliste pour ne pas dire misérabiliste- auxquels le label tiré d’une histoire vraie ne donne qu’un poids et raison d’être factices-, et d’autres tentant en vain d’effacer le média, espérant peut être que son public soit assez peu sensé pour ignorer qu’un film est un film. Pour Truffaut, le combat est perdu d’avance, ou plutôt il n’a pas lieu d’être. Un film doit s’appuyer sur tout ce qui rappelle qu’il est film ; cadrage (limitation dans l’espace sans précédent dans les données des sens), montage, emploi de diverses focales, parfois l’emploi de zoom, mais aussi le jeu d’acteur (avec de bonnes performances dans des rôles secondaires, et bien moins omniprésent, de Delphine Seyrig, Michael Lonsdale et Claude Jade). La magie du film ne s’opère que si le film ne tente pas cacher qu’il l’est ; et la réussite est claire dans Baisers volés.
Antoine