La parole donnée d’Anselmo Duarte (mardi 8 novembre 2016, 20h30)

« Je me suis efforcé de réaliser un film « original », dans la mesure où il n’emprunte à aucune école, et où la préoccupation principale est de présenter au public une histoire authentiquement brésilienne, autant dans le fond que dans la forme. C’est, sous forme poétique, un pamphlet contre l’intolérance et l’incompréhension dans un monde où l’homme, difficilement, arrive à honorer la parole qu’il a donnée. » Anselmo Duarte

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Proposition d’analyse

La parole donnée d’Anselmo Duarte est la seule palme d’or brésilienne de l’histoire du festival de Cannes, la compétition était pourtant rude en 1962 puisqu’on y trouvait notamment en face du film d’Anselmo Duarte L’éclipse d’Antonioni, Le procès de Jeanne d’Arc de Robert Bresson ou encore Cléo de 5 à 7 d’Agnés Varda. La légende veut que La parole donnée ait remporté la palme grâce au soutien de François Truffaut qui faisait partie du jury présidé par le poète japonais Tetsuro Furukaki. Le soutien d’un membre de la nouvelle vague est d’autant plus notable qu’Anselmo Duarte se distingue, tout du moins par la forme assez classique de son film, du cinema novo qui façonne alors le cinéma brésilien. Rappelons que le cinema novo est un courant du cinéma brésilien influencé par la nouvelle vague et le néo-réalisme italien qui apparaît dans les années cinquante et cherche à se démarquer du genre alors dominant de la chanchada, imitation peu convaincante du cinéma hollywoodien (notons qu’avant de devenir réalisateur, Anselmo Duarte a été acteur de comédie musicale, son grand succès a incité la compagnie Vera Cruz, principale productrice de chanchada, à l’embaucher pour deux films, ce qui explique peut-être l’inimitié des partisans du cinema novo à son égard). Le cinema novo, théorisé par Glauber Rocha (dont vous avez pu voir le film Barravento au ciné-club l’année dernière), représente à la fois une révolution thématique et stylistique dans le cinéma brésilien : il cherche à s’éloigner du style cinématographique hollywoodien tout en traitant des thèmes jusqu’alors évités (par exemple les inégalités présentes dans la société brésilienne) dans le but de décrire un « vrai brésil ». Si la mise en scène de Duarte reste assez académique bien que très travaillée, les thèmes abordés par son film laissent entendre une influence du cinema novo (Anselmo Duarte lui-même déclare chercher à mettre en scène « une histoire authentiquement brésilienne »). Cependant, malgré son succès cannois et des thèmes en partie communs, La parole donnée ne convainc pas les cinéastes brésiliens contemporains de Duarte.

Ceci s’explique en partie par le caractère transitionnel de ce film qui tend vers un cinéma authentiquement brésilien tout en étant encore très marqué par un classicisme emprunté aux États-Unis. Il ne faut pas pour autant considérer La parole donnée comme un film à thèse dont l’intérêt se ferait en dépit de la mise en scène, celle-ci souligne très efficacement le propos du réalisateur, mais pas par le biais d’une approche frontale. Le film ne cherche pas à montrer, ni même à reproduire la société brésilienne telle que la voit Anselmo Duarte, mais bien à l’illustrer par une œuvre de fiction. La parole donnée est en effet un film très construit : l’action se développe autour d’un crescendo global (augmentation du nombre de personnages, des tensions dans les relations entre ceux-ci, mais aussi augmentation du niveau sonore, par exemple). Cette existence d’une structure générale du film qui unifie ses différents éléments empêche de qualifier le film de réaliste malgré le sujet traité. Ce refus du réalisme s’explique peut-être par l’ambition du film qui cherche à rendre compte de l’entièreté des relations complexes qui forment la société brésilienne (comme l’indique la présence de nombreux personnages censés représentés les différents acteurs de cette société) tout en conservant une unité de temps. Celle-ci peut être vu comme une recherche d’efficacité dans la narration mais aussi comme un héritage du théâtre, puisque le film est adapté d’une pièce du poète brésilien Dias Gomes. L’influence du théâtre se fait d’ailleurs sentir à de nombreuses reprises : par le choix des acteurs (Leonardo Vilar avait déjà interprété le rôle de Zé sur les planches mais travaille alors pour la première fois pour le cinéma) mais aussi par le choix du lieu. L’unité de lieu du film n’est cependant pas qu’une marque de l’origine théâtrale du scénario, Anselmo Duarte réussit en effet à créer devant cette église un microcosme censé refléter la société brésilienne, l’effet de crescendo déjà mentionné est en partie rendu possible par l’afflux constant de gens sur cette place (un changement de lieu aurait rendu la comparaison plus difficile). Notons d’ailleurs que le choix d’un grand escalier pour décor n’est pas anodin, celui-ci permet de nombreux effets de mise en scène (effets de surplombs des personnages qui rendent compte des rapports hiérarchiques ou de leur renversement, élévation ou descente symbolique des personnages, et surtout justification d’un usage généralisé des plongées et contre-plongées).

Anselmo Duarte cherche donc à rendre compte de la complexité de la société brésilienne et de son métissage. Mais il ne se contente pas pour autant d’en donner une image objective, il y a un réel parti pris dans le travail d’Anselmo Duarte qui souhaitait selon ses propres mots réaliser « sous forme poétique, un pamphlet contre l’intolérance et l’incompréhension dans un monde où l’homme, difficilement, arrive à honorer la parole qu’il a donnée ». L’histoire de Zé apparaît alors plus comme un prétexte que comme le point central du film. En effet, rares sont les personnages du film qui s’intéressent vraiment à cette histoire, la plupart cherchant seulement à en tirer profit. L’ironie est un ressort très utilisé par le scénario, à l’encontre de Zé comme de ses opposants. En effet, Anselmo Duarte ne prend pas le partie du bon sens populaire et de l’innocence paysanne face à l’intolérance du clergé et l’opportunisme des citadins, il critique également la naïveté de Zé et sa dévotion absurde (par exemple, lors de la parodie de la passion du Christ qui ouvre le film). La parole donnée porte donc une descriptions sans concession, sans pour autant être désabusée, de la société brésilienne de l’époque vue par Anselmo Duarte.

Malo