À l’est d’Eden d’Elia Kazan (mardi 13 septembre 2016, 20h30)

Comme d’habitude, l’entrée coûte 4 euros, 3 pour les membres du COF et vous avez la possibilité d’acheter des cartes de 10 places pour respectivement 30 et 20 euros.

Proposition d’analyse

Le film À l’est d’Eden est à comprendre à la lumière de deux références littéraires : le mythe de Caïn et d’Abel et bien sûr le best-seller de John Steinbeck sorti trois ans plus tôt et dont le film est l’adaptation. Les choix faits par Elia Kazan lors de cette adaptation font d’ailleurs qu’il est particulièrement intéressant de revoir le film après la lecture du livre de Steinbeck. En effet, Elia Kazan a choisi de ne présenter que la toute fin du livre dont l’intrigue s’étend sur plusieurs générations et de construire son film autour des relations entre Adam Trask et son fils Caleb. Plusieurs raisons peuvent être avancées pour motiver ce choix : on évoque souvent les relations complexes entre Elia Kazan et son propre père tandis que certains voient dans la fin du roman de Steinbeck le point central de l’œuvre (Steinbeck s’étant d’ailleurs lui aussi inspiré de ses relations avec son propre père pour écrire À l’est d’Eden). Ainsi, la lecture du roman original permet de mieux comprendre les personnages tout en mettant à jour une réflexion autour du mythe de Caïn et d’Abel, notamment menée par les personnages de Lee et Samuel, absents du film, tandis que cette histoire se rejoue à travers les différentes générations de personnages. La référence au mythe reste très présente dans la film d’Elia Kazan à travers le titre bien sûr qui renvoie directement au texte de la bible, « Caïn se retira de devant l’éternel, et séjourna dans le pays de Nod, à l’est d’Eden »(Genèse, 4;16), mais aussi par l’intrigue qui reprend celle du mythe ou par les citations bibliques courantes dans le film. Cependant, l’insistance est plus légère que dans le roman de Steinbeck. Celui-ci ayant été très populaire, on peut penser qu’Elia Kazan, ayant conscience de s’adresser à un public averti, se permet de se concentrer sur l’essentiel du roman. En mettant en scène une seule des occurrences du mythe présentes dans le livre, Elia Kazan donne une cohérence à son film que n’aurait peut-être pas eu une grande fresque s’étendant sur plusieurs décennies. De même, l’étude des scènes coupées du film laisse entendre qu’Elia Kazan a décidé de ne présenter qu’une seule fois des motifs récurrents dans le roman afin de donner une plus grande tension au film, jugeant sans doute que l’origine biblique de certains de ces motifs leur donne un certain poids sans avoir besoin de recourir à la répétition (puisque ce sont déjà des répétitions de motifs mythologiques). On peut même penser que la répétition aurait affaibli leur efficacité, Elia Kazan fait ainsi preuve d’une grande conscience des différences entre les narrations romanesques et cinématographiques et construit un film d’une grande profondeur qui se prête à de nombreux visionnements.

Pour cette adaptation, Elia Kazan décide de recourir à des acteurs peu connus du grand public (essentiellement suite au refus d’acteurs plus connus tels que Marlon Brando et Montgomery Clift), notamment des acteurs venant du théâtre. Ce film est d’ailleurs un bon exemple de l’influence de l’actors studio sur le cinéma et le théâtre américains (Elia Kazan en est cofondateur et James Dean et Julie Harris en ont été membres). Rappelons que l’actors studio prône un système conçu par Lee Strasberg à partir des écrits de Stanikavski qui vise à atteindre un jeu organique, basé sur la vérité. Cette méthode particulièrement exigeante pour l’acteur est devenue la référence aux Etats-Unis suite au succès d’anciens élèves de l’actors studio parmi lesquels James Dean mais aussi Marlon Brando, Montgomery Clift ou encore Elizabeth Taylor. Cette recherche de la vérité a mené Elia Kazan à encourager l’animosité réelle entre James Dean et Raymond Massey, pensant qu’il n’y avait aucune autre manière d’obtenir à l’écran une aussi bonne représentation des relations entre Caleb et son père. Le jeu de James Dean est particulièrement notable par la gaucherie de ses actes et ses paroles, la vérité qui ressort de sa rébellion naïve. Il est d’ailleurs difficile de ne pas penser à La fureur de vivre en voyant ce film. Sous certains aspects, Caleb, qui s’oppose à son père tout en cherchant à mériter son amour, est un personnage d’adolescent, notion qui commence à apparaître aux Etats-Unis dans les années 50 et qui sera le sujet du film de Nicholas Ray. Ni Elia Kazan, ni John Steinbeck n’appréciait James Dean mais ils s’accordaient sur le fait qu’il était fait pour incarner le personnage de Caleb et force est de constater que sa prestation tout au long du film est hors du commun. Bien que venant du théâtre, Elia Kazan fait preuve dans ce film d’un très grand sens du cadrage et de la composition. L’utilisation de la caméra penchée malgré le format cinémascope est particulièrement notable. Ce procédé bien qu’utilisé avec parcimonie dans le film met clairement en avant les tensions entre les personnages. On notera aussi l’obsession d’Elia Kazan à mettre en avant les acteurs même dans les plans d’ensemble. Par exemple, il n’hésite pas à abandonner plus de deux tiers de son écran pour faire se distinguer les acteurs dans l’espace restant.

Dès le début du film, une opposition manichéenne très marquée se dessine avec d’un côté le bien, Adam, Aron (le frère jumeau de Caleb), le village agricole de Salinas et de l’autre le mal, Caleb, Kate, le port de Monterey. À partir de la question du bien et du mal, c’est la question du libre-arbitre qui se pose entre Caleb qui se croît né mauvais mais essaye tout de même de plaire à son père que la croyance en une liberté totale de l’homme mène à développer une morale particulièrement exigeante (cette réflexion est développée dans le roman de Steinbeck à partir de l’étude du terme hébreu « Timshel » signifiant « tu peux » mais parfois traduit dans un contexte biblique par « tu dois »). Ces oppositions sont soulignées par un usage marqué du symbolisme (par exemple, la mer à Monterey s’oppose à la glace que produit Adam et à laquelle s’attaque Caleb). Mais ces oppositions vont être questionnées tout au long du film, invitant le spectateur à se demander qui est réellement bon ou mauvais et en n’y répondant pas. Le personnage d’Abra est le vecteur principal de ce questionnement : en tant que petite amie d’Aron, elle est censée se placer du côté du bien, mais elle va se révéler très proche de Caleb, notamment lorsqu’elle lui avouera la jalousie qu’elle a ressentie lorsque son père s’est remarié. À la lumière de cette anecdote, on comprend que l’opposition entre Caleb et Adam est plus complexe qu’on ne peut le penser au premier abord.

Malo