Devdas de Sanjay Leela Bhansali (mardi 15 décembre 2015, 20h30)

Mêlant amours tragiques et coups de théâtre dignes des meilleurs mélodrames aux éblouissantes chorégraphies du cinéma Bollywoodien, Devdas vous emportera loin de la monotonie et de la grisaille hivernale, dans une grande fresque historique et musicale au cœur de l’Inde du début du XXe siècle…

Proposition d’analyse

Décors et costumes chatoyants, couleurs saturées, scènes de danses étourdissantes, et chansons devenues essentielles dans la culture populaire indienne, autant d’éléments qui font de Devdas un des films les plus iconiques du cinéma bollywoodien.
Au début du XXe siècle, Paro et Devdas, jeune aristocrate, alors qu’ils nourrissent un amour idéal depuis l’enfance se retrouvent séparés pendant dix ans, suite au départ de Devdas pour étudier en Angleterre. A son retour, ils voient leur union rendue impossible par leur statut social inégal et par la force des traditions.
Sentiments exaltés, tragédie, déchéance du héros déçu, héroïne fière et vertueuse, triangle amoureux avec la noble courtisane Chandramukhi, mariage arrangé, vengeances et coups de théâtres… tous les indispensables du grand mélodrame sont là !

Pourtant, Devdas se révèle être bien plus qu’une simple bluette. Tirée d’un grand classique de la littérature indienne écrit en 1917 par l’auteur Bengali Saratchandra Chattipadhyay, l’histoire tragique de Devdas et Paro a suscité de multiples adaptations cinématographiques propres à différentes régions et dialectes de l’Inde et du Bengal (Tamil, Mayalam, Telegu), dont, parmi les plus remarquables, la version en hindi et bengali réalisée en 1935 par P.C. Barua et celle de Bimal Roy en 1955.
Le film de Sanjay Leela Bhansali tourné en 2002, marque cependant un tournant majeur dans l’adaptation de Devdas. Il constitue en effet la première version cinématographique en couleur de cette histoire, qu’il inscrit dans les codes du cinéma bollywoodien. L’efficacité du film repose ainsi en grande partie sur le jeu du réalisateur avec des couleurs extrêmement vives et contrastées, et des images qui éblouissent le spectateur par leur opulence et leur éclat. Cette exubérance visuelle de Bollywood acquiert toutefois ici une force esthétique particulièrement marquée, qui fascine et emporte le spectateur à la suite de Paro et Devdas. La flamboyance du film est encore renforcée par les chorégraphies et les chansons récurrentes qui participent aussi pleinement de l’esthétique de Bollywood.

La saturation des images, que ce soit par les couleurs, les détails ou les gestes exagérés des danses, renvoie toutefois à une symbolique complexe propre à la culture indienne, qui permet de suggérer un second niveau de lecture de l’histoire de Devdas et Paro.
Le récit se base de fait sur le thème du viraha, au cœur de formes poétiques traditionnelles comme le barahmasa, qui évoque la tragédie de la séparation amoureuse et de l’absence. Plusieurs scènes reprennent, de même, de manière symbolique, des épisodes mythiques fondateurs. Sumitra, la mère de Paro, exécute par exemple, lors d’une fête organisée par la famille de Devdas, une danse racontant les amours du berger Krishna (avatar de Vishnu) et de la nymphe Radha. Le montage de cette séquence met en parallèle Devdas et Paro, autour d’un lac où Paro essaye de puiser de l’eau alors que Devdas la poursuit, répétant ainsi les gestes et l’histoire des personnages légendaires. Ils se retrouvent donc assimilés à des figures quasi-divines et dépassent leur statut de simple mortels pour devenir des héros légendaires.
Les multiples scènes de danse reposent de la même manière sur code gestuel très stricte où une signification précise est attribuée à chaque mouvement des mains, ou des pieds. Elles reprennent des chorégraphies traditionnelles comme celle du bharata natyam, dansé par Paro ou du kathakali exécuté par Chandramuki. Ceci permet une double narration, qui inscrit un récit parallèle symbolique à l’intérieur de l’intrigue.

La signification accordée aux couleurs vient aussi compléter l’intrigue. Le rouge, couleur principale du film, issu de l’équilibre entre blanc (lié à la figure de Saatva, vertu, salut, unité) et le noir (associé à Tumas, et à la tendance à l’annihilation, la dissociation, la chute) correspond, dans le système symbolique indien, à la force créatrice, la passion, l’action. Il joue un rôle central dans les signes du mariage notamment, à travers le tikka, point rouge sur le front de la mariée ou le henné appliqué sur ses mains et ses pieds. Dès lors, la scène où Devdas blesse Paro et utilise le sang qui a coulé pour tracer sur ses cheveux un trait rouge, comme celle où Paro renverse un pot de poudre rouge qui colore ses empreintes de pas, réalisent l’union éternelle et impossible des deux héros de manière détournée. L’expression symbolique leur permet d’échapper aux impératifs sociaux et culturels qui articulent l’intrigue.
De même, le bleu-gris qui domine la dernière scène de la mort de Devdas, correspond dans la symbolique hindoue à Shiva, dieu assimilé à la vie éternelle. La photographie de la scène permet donc de transcender la mort du personnage, devenue un héros mythique qui triomphe métaphoriquement de la mort. Le anti-héros qu’est Devdas, se laissant emporter dans une spirale de lamentation et de déchéance, bien loin de l’initiative et de la force d’action qui serait attendue d’un héros tragique idéal habituel, se voit ainsi racheté par son élévation symbolique au cours du film. Réinvestissant à la fois les codes du cinéma bollywoodien et ceux de la représentation narrative aussi bien que visuelle propres à la culture indienne traditionnelle, le film de Sanjay Leela Bhansali, continue ainsi à asseoir le caractère de légende populaire de Devdas.

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Quelques références :

http://www.critikat.com/panorama/analyse/devdas.html
http://www.uiowa.edu/indiancinema/devdas

-Marie