Le voleur de lumière de Aktan Arym Kubat (mardi 1 décembre)

Le lendemain de l’ouverture de la COP21, le Ciné-club invite Écocampus pour une carte blanche. La séance sera gratuite et précédée d’une conférence organisée par Écocampus à 18h30 en salle Dussane sur le thème « Parler climat avec énergie ».

Proposition d’analyse

Pour cette troisième carte blanche laissée par le Ciné-Club à Ecocampus, le choix de la date n’a pas été laissée au hasard : nous sommes en effet le deuxième jour de la Conférence de Paris sur le Climat (COP21), et premier jour des négociations climatiques au Bourget. Notre choix s’est porté sur une fiction kirghize, dans laquelle l’intrigue apparemment simple et naïve fait écho à l’importance quotidienne des questions d’énergie partout dans le monde, et notamment loin des pays développés.

Monsieur Lumière (« Svet Ake » en kirghiz), c’est comme ça que les habitants de cette vallée reculée appellent l’homme qui trafique les compteurs et sabote les lignes électriques qui alimentent son village. Pour garantir à tous, même aux plus pauvres, un accès à l’énergie, Svet Ake est prêt à aller au-devant de la loi, à négocier avec les forces politiques locales, et à défier ceux qui veulent racheter les terres du village. Il symbolise, à son échelle, la lutte citoyenne contre l’administration inique et corrompue d’une démocratie menacée.

Le Kirghizistan, ancienne république soviétique, fait en effet figure d’exception parmi les pays d’Asie centrale. Après une décennie de dictature suivant la chute de l’URSS, le pays a connu quelques années de calme entre 2005 et 2010, avant qu’une nouvelle révolution ne le ramène à des périodes de troubles. Le film est réalisé en 2010, au moment même où la révolte populaire gronde contre un gouvernement accusé de corruption : dans l’intrigue même du Voleur de lumière, on peut retrouver les prémisses de cette révolution. Le bruissement même des pales de l’éolienne construite par Svet Ake, en ouverture et conclusion du film, ne rappelle-t-il pas la rumeur d’une foule grondante ?

La genèse du film reflète quelque peu ces tensions qui traversent la société kirghize. Celui-ci arrive après neuf années d’écriture et de recherche de financements, pour seulement un mois de tournage. Pendant cette longue période de silence, le réalisateur, auparavant Aktan Abdykalikov, a choisi de changer son nom aux consonances trop soviétiques pour Aktan Arym Kubat, plus kirghize. Après une trilogie remarquée au tournant du siècle – Le Fils adoptif (1993), La Balançoire (1998) et Le Singe (2001) – le cinéaste préfère laisser derrière lui la notoriété de son patronyme russe pour se mettre en scène dans cette fiction aux allures de documentaire qu’est Le Voleur de lumière, critique des transformations sociales et économiques du Kirghizistan post-soviétique.

La dénonciation de la corruption et du pouvoir des classes dirigeantes, thème apparent du film, ne doit cependant pas faire oublier le fort message d’espoir qu’il véhicule. Svet Ake est adulé par ses concitoyens, et son audace l’amène à se confronter à bien plus fort que lui. Héros naïf et idéaliste, dans une société en transformation – avec l’arrivée de la technologie et des tractations politiques dans ce petit monde de traditions – il représente une opposition crédible aux pouvoirs en place. Les scènes de vie montrées dans le film servent ainsi autant à recréer l’atmosphère des campagnes kirghizes qu’à éloigner toute gravité du message tenu par le réalisateur.

La lutte des villageois pour une autonomie énergétique, qui va à l’encontre du pouvoir des investisseurs, peut aussi rappeler la dépendance des pays en développement à d’autres pays plus développés, sur le plan de l’énergie ou non. Le Voleur de lumière ouvre alors la réflexion sur la place des voix citoyennes, et de l’action locale, dans un système global où ils ont de moins en moins de prise ; d’autres Svet Ake pourraient-ils se faire les meneurs de cette remise en question, à l’échelle mondiale ?

– Emmanuel